Note de lecture : De mémoire vive, par Philippe Dewost

Note : 8 ; Témoignage sur la révolution numérique à la Française.

Comme le titre le suggère, il s’agit d’un livre d’histoire, mais d’une histoire où l’auteur est parfois acteur et parfois observateur engagé. Si elle est centrée sur l’hexagone, elle évoque abondamment l’autre côté de l’Atlantique (sans lequel il serait vain de compter une histoire de l’informatique), mais lorgne aussi sur l’asie. Ce n’est pas un récit objectif, et il met souvent en scène l’auteur lui-même : c’est l’angle du livre et si cela vous déplait, ce n’est pas la peine d’aller plus loin.

L’ouvrage compte 350 pages structurées en 11 chapitres encadrés d’une introduction et d’une conclusion. Le titre de chacun d’entre-eux est énigmatique de prime abord, il faudra lire le texte pour en comprendre chaque fois le sens. Lors du premier chapitre « estime de la souveraineté », l’auteur part (comme souvent dans l’ouvrage) de sa propre histoire, alors qu’il était élève officier, en évoquant le GPS et son devenir. Cette saga nous entraine non seulement sur le domaine de la souveraineté, mais aussi sur le rôle prépondérant des militaires sur le progrès technologique. Une partie de l’histoire est connue, certains détails le sont moins, et l’auteur excelle à connecter l’ensemble.

Il faudra attendre la fin de ce chapitre 2 pour en comprendre le titre « mentir à IBM ». C’est une belle perspective historique, même si elle est menée au pas cadencé, qui nous est proposée là, remontant jusqu’au années 60. Le propos sur la rareté des ressources trouve écho aujourd’hui où il est question de green IT. L’auteur nous tiens la main pour parler de goulots d’étranglements, de systèmes centralisés (à la IBM) et de réseaux. Le chapitre 3 « le chant des modem » est sans doute le chapitre qui m’a le moins plût. Comprendre le changement du terrain de jeux des grands conglomérats des telecom est sans doute instructif, mais j’ai vite perdu le fil des fusions et acquisitions dont il est question. Dommage.

Le chapitre 4 « ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient » nous entraine de nouveau dans les pas de l’auteur, depuis la Silicon Valley jusqu’à la création de Wanadoo dans les années 90. C’est l’essor de l’Internet à la Française qui nous est comté là au fil de ce périple (et non, Borland n’est pas le créateur du tableur). Philippe Dewost veut saluer les différents contributeurs de cette épopée, mais cela fait tout simplement trop de noms à retenir. Le titre du chapitre 5 « le règne des 9 touches » n’est pas suffisamment cryptique pour nous empêcher d’entrevoir qu’il sera question de mobile. Et c’est bien de cal qu’il s’agit. Là encore l’auteur ancre son récit dans le SMS, le « feature phone » et l’éphémère WAP de la fin des années 90, il n’oublie pas le Blackberry ni les transformations qu’engendrera au niveau des opérateurs l’arrivée de téléphones qui deviennent des terminaux Internet. C’est bien la question des opérateurs et de la transformation que l’itinérance amènera qui est au centre de ce thriller économique qui rappelle un peu le chapitre 3…

C’est de nouveau de mobile dont il est question au chapitre 6 « écran noir ». Il raconte le « blitzkrieg » comme l’appelle l’auteur, de l’iPhone sur la téléphonie classique et même plus généralement de l’informatique sur cette dernière, reléguant le téléphone au rang d’app et la voie comme une donnée comme une autre. Au-delà de l’appareil, c’est la révolution de l’usage que Philippe Dewost nous invite à questionner, et il le fait fort bien. Il va être question de système d’exploitation au chapitre 7, et cela commence une fois encore avec Apple et Microsoft. Les entrechats des deux géants, avec Next dans le tableau et l’émergence des app stores ne saurait nous faire oublier l’absence de l’éléphant au milieu de la pièce : Linux n’est pas évoqué !

La librairie dans les nuages du chapitre 8 évoque immédiatement Amazon ! C’est bien de lui dont il s’agit ici au début de ce récit, le créateur du cloud computing. Cette histoire, Philippe Dewost la relie aux besoins de synchronisation que ce soient avec les portables ou entre les machines, pour ensuite gagner la synchronisation d’applications. Le cheminement est un peu alambiqué, il passe par la virtualisation pour enfin aboutir au « tout API » de Jeff Bezos. Dans cette histoire, bien analysée et documentée, il me semble toutefois manquer un nom : Werner Vogels. Le triangle des paradoxes, le 9ème chapitre de l’ouvrage, décortique l’action et l’investissement public dans le monde de la tech. L’auteur nous gratifie de nouveau de l’intérieur et d’une vue (presque) sans concession des échecs (le cloud souverain) et des réussites relatives. Une vue que l’on a rarement l’occasion d’apercevoir en dehors des tribunes poliques.

Le chapitre 10, « le disparition » nous offre un regard des plus intéressant (et quelque peu déprimant) sur notre souveraineté technologique. Car la disparition dont il est question, c’est celle-ci ! Une fois encore le narratif est parfaitement déroulé. Il passe par le design des data centers de Facebook et leur étonnante « power efficiency ». C’est d’ailleurs finalement mon « take away » pour ce chapitre. Le chapitre 11, « crypto-sensu » nous offre une vision particulièrement éclairé sur l’univers de la block-chain. J’avoue même ne jamais l’avoir lu aussi clairement décrit et raconté : il justifierait à lui seul la lecture du livre !

Le livre se referme sur une conclusion, la « verticale du fou », une expression que nous propose l’auteur pour prendre un peu de hauteur et voir comment ces géants, de Google à Elon Musk assemblent leurs entreprises pour conquérir de nouveaux espaces (dont l’espace, justement) pour former de gigantesques chaines de valeur dont elles contrôlent (et dominent) chaque maillon. Cette vision est vertigineuse et questionne sur les combats que nous menons dans l’hexagone ou même en Europe.

C’est une épopée dans laquelle nous invite l’auteur, des histoires dans l’histoire au sein desquelles prend place sa propre histoire. Forcément le propos et la vision est celle d’un acteur dont le point de vue transparait. C’était justement la promesse du livre, nous ne sommes pas déçus. J’ai eu l’impression de crouler sous une avalanche de noms quand le narratif se centré autour de l’écosystème de l’auteur. Quelques absences m’ont étonné, comme celle de Linux, mais surtout pour la France, de Free même si Xavier Niel est vite évoqué à propos de station 13.
Un excellent ouvrage, que je recommande sans réserve.

Référence complète : De mémoire vive – Philippe Dewost – Edition Première partie 2022 – ISBN : 978 2 36526 252 1

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.