Note 4 ; Un tour d’horizon à haute altitude bien écrit, mais manquant de consistance, de SAFe l’ERP de l’agilité.
SAFe est réellement le raz de marée de la seconde moitié des années 2010. Il serait vain de l’ignorer. Avec quand même un certain bagage sur le framework, j’aborde ce livre dans le but de mieux appréhender comment l’ensemble des briques s’articulent. Un objectif qui, nous le verrons, est malheureusement loin d’être atteint.
C’est un livre de taille moyen, avec ses 300 pages environ, qui surprend par son poids quand on le prend en main. Et pour cause : il est imprimé sur papier glacé, et même imprimé totalement en quadrichromie ! Un peu comme une plaquette publicitaire, ce qu’il est en partie. Le contenu est divisé en 6 parties et ne compte pas moins de 22 chapitres. La première partie nous invite à une vue générale, sur 25 pages comptant deux chapitres. Le premier est à peine un tour de chauffe, avec le « business case » de SAFe mâtiné de perspectives historiques. C’est bien écrit, mais on n’y apprend rien. C’est un peu plus concret au chapitre 2 qui nous explique clairement les différentes déclinaisons de SAFe et les rôles utiles. C’est une introduction comme il faut.
La seconde partie dédiée au mindset et principes compte 3 chapitres et couvre une cinquantaine de pages. On commence au chapitre 3 par parler mindset avec le manifeste agile et avec la « SAFe House of Lean », un peu librement adapté de l’original. A part cette nouveauté, la seule originalité est la déclinaison du manifeste à l’échelle, tout à fait sensée. Les principes SAFe sont détaillés au chapitre 4. Franchement ils sont bien et sont clairement évoqués. D’inspiration très largement Lean, j’ai quand même un peu de mal à les raccorder à ce que j’ai compris du framework. J’ai hâte d’en savoir plus. J’adhère aussi au propos sur le « Lean-Agile leader ». Du focus sur le développement des personnes au recrutement ciblé sur les soft-skills, nous sommes clairement dans la bonne direction !
La 3ème partie est pour moi la plus importante du livre : elle est consacrée aux éléments fondamentaux de SAFe. Elle est forte de près de 80 pages et s’étend sur 5 chapitres, rien d’étonnant. Le chapitre 6 débute cette partie par un élément fondamental : l’ART ou Agile Release Train. Elle met en lumière que l’ART est bien l’unité élémentaire de SAFe et le PI (8 à 12 semaines) la véritable rythmicité du framework. Les équipes semblent reléguées à de simples unités d’exécution et les itérations de 2 semaines, l’affaire interne de l’équipe (et des points de rencontre d’intégration). Je commence ici à percevoir un décalage par rapport aux valeurs et principes affichés.
Le PI Planning, sujet du chapitre 7 est le point d’orgue de SAFe. Les auteurs insistent bien dessus et me convainquent de m’y intéresser de plus près. Si je peux. Le chapitre est bien fait et intéressant mais ses 12 pages ne lui permettent pas de rentrer dans le dur. Le chapitre 8 est consacré aux itérations. On parle bien des itérations agiles de 2 semaines. Le propos est classique et n’apporte pas de particularité sur SAFe. Il couvre Scrum et Kanban et est bien écrit sur un nombre de pages compté.
Le Program Increment est au menu du chapitre 9. On y voit bien que cette unité de temps est celle qui importe dans SAFe. De même la notion d’autonomie s’entend d’avantage au niveau du train qu’au niveau des équipes tant celles-ci dépendent de fonctions et directives transverses. Il y a pas mal de choses qui semblent toutefois intéressantes : continuous exploration, CALMR Devops, etc. Malheureusement cela s’arrête souvent au niveau de l’intention. La mise en œuvre et l’imbrication des différents éléments sont plus ténus. Malgré l’importance revendiquée de l’Inspect & Adapt, sujet du chapitre 10, celui-ci est assez court. La démo parle surtout de mesure de la capacité et la rétrospective se focalise sur du root-cause analysis. C’est léger.
La 4ème partie va évoquer les « large solutions » qui rajoutent une couche au-dessus du « SAFe essential ». 3 chapitres au total pour nous garder éveillés pendant un peu plus de 30 pages. Ça va passer vite. Le chapitre 11 donne une vue de haut niveau. C’est-à-dire d’encore plus haut niveau que d’habitude. Outre le concept de « Solution » qui devient un un concept de plus haut niveau que le programme, on retrouve des déclinaisons des concepts et rôles précédents avec une appellation légèrement différente. Seul le « economic framework » est un véritable ajout. Plus ça change, plus c’est la même chose.
Une petite dizaine de pages également seulement sont consacrées à la définition des Solutions « large et complexes ». Il y a quelques beaux diagrammes à la Powerpoint et on ajoute des concepts tels que « capabilities » et « features » mais tout cela est bien brumeux, même avec un background solide en processus et gestion des exigences. Cette partie se conclut par le « Solution Train Execution », chapitre encore plus court que les précédents avec 7 pages. On y découvre simplement les prés et post PI planning. C’est creux.
Le Portfolio SAFe est au menu de la 5ème partie. C’est en quelque sorte une branche parallèle aux large solutions (mais les deux peuvent se combiner pour le SAFe pizza royale). 4 chapitres ici pour une cinquantaine de pages. Le chapitre 14 introduit les grands concepts de ce portfolio management : il y en a 3 (je vous laisse deviner les 3 chapitres suivants…). On arrive à comprendre l’idée de l’ajustement sur la stratégie d’entreprise et l’ajustement dynamique du budget. Mais la réalité opérationnelle reste très floue. On espère un éclaircissement de la stratégie et du funding au chapitre 15 qui lui est dédié. Pas mal de bruit dans le texte pour comprendre que l’on budgète les « values streams » et que la reventilation du budget en son sein se fait en « juste à temps ».
Ce sont les opérations qui sont à l’honneur du chapitre 16. Y sont évoqués de manière assez superficielle les centres d’excellence et les activités de coordination. Mais c’est surtout le rapprochement avec la gestion de portefeuille que je ne parviens pas à opérer. La gouvernance Lean aurait pu nous parler OpEx et CapEx, mais visiblement cela sort du champ des auteurs. Ils préfèrent comparer la stratégie financière SAFe avec … le cycle en cascade ! Mais pourquoi fait-on encore cela aujourd’hui ?
La sixième partie est consacrée à l’implémentation de SAFe. Ce sont 12 étapes ventilées en 5 chapitres et illustrées par le « implémentation railway ». C’est pauvre, peu créatif et pas du tout en ligne avec une montée en puissance progressive. Le modèle nous présente un déroulé séquentiel suivant la planification d’exécution pour nous indiquer à quel moment qui devait suivre quelle formation. Le railway n’est pas seulement inutile, il est dangereux car il laisse croire que cette manière de pensée est la clé du succès. C’est faux.
Le livre nous fait la promesse de passer tous les éléments de SAFe en revue. Promesse bien tenue. Toutefois, dépassé le niveau ART pourtant pas toujours précis, les étages supérieurs manquent de consistance mais certainement pas de déclarations d’intention. J’en ressors avec une impression de décalage entre les principes et valeurs (auxquels j’adhère) et un modèle très « top-down » et au final très prescriptif. Malgré son omniprésence en entreprise, SAFe ne croule pas sous la littérature, un fait étrange en soi, en dehors du site officiel. Ce texte est donc LE point d’entrée pour faire connaissance avec SAFe, l’ERP de l’agilité à l’échelle !
Référence complète : SAFe 4.5 Distilled – Richard Knaster & Dean Leffingwell – Addison Wesley 2019 – ISBN : 978 0 13 517049 6