Note 10 ; Un regard radical et perturbant sur le changement. Mais aussi un livre captivant, parfois drôle et touchant ! Pour une révolution qui commence dans nos têtes ! Book of the year 2019 !
Srdja Popovic fait un métier en quelque sorte unique au monde : il est consultant en renversement de dictateurs ! Il a gagné ses galons de crédibilité en étant l’un des chefs de file du mouvement qui a renversé Milosevic. Et il nous gratifie aujourd’hui d’un livre formidable auquel cette note de lecture aura bien du mal à rendre justice.
Le volume lui-même se présente dans un moyen format de 260 pages comptant 11 chapitres. Chacun représente une des étapes de sa méthode de renversement de dictateurs. Car oui, il a une méthode et donne même des formations là-dessus ! Le premier chapitre « it can never happen here » nous trace les débuts de son mouvement : Otpor ! (ne pas oublier le point d’exclamation). Deux décisions initiales à retenir du mouvement. Tout d’abord il est né avec le symbole du poing stylisé, sans plan ni organisation, mais en demandant aux nouveaux venus de montrer leur engagement en peignant au pochoir le symbole dans les rues de Belgrade. Une bonne méthode pour rendre le symbole omniprésent. Ensuite, le choix de ne pas avoir de « leader charismatique » afin de ne pas rendre le mouvement fragile par rapport au pouvoir en place. L’auteur se distingue de Gandhi ou Martin Luther King : pour lui et aujourd’hui, un mouvement pour rallier doit être sympa et marrant. Ce sont les révolutionnaires égyptiens qui sont au centre de ce chapitre qui se conclut par « the fist is shaking Cairo ».
Le second chapitre intitule « Dream big, start small ». Et il débute par l’histoire d’Alrov et de l’augmentation du « Cottage cheese » en Israël. Qui aboutira certes à une révision des prix du fromage mais se poursuivra par des batailles plus importantes. L’auteur nous rappelle qu’il faut choisir ses batailles et que celles-ci doivent parler au plus grand nombre. Ce sont rarement des concepts abstrait comme la liberté, mais souvent des choses plus terre à terre et quotidiennes. Souvent, cela a à voir avec la bouffe. Voir grand, c’est le sujet du 3ème chapitre « A vision of tomorrow ». C’est aux Maldives que nous emporte cette fois l’auteur. Ici Srdja nous invite à visualiser un but concret à atteindre, à l’image du solution focus.
Les « piliers du pouvoir tout puissant » nous entraine, au chapitre 4 dans la lutte contre Bashar El Assad. Le pouvoir d’un dictateur, c’est souvent la violence, et l’entretenir coûte de l’argent. Ici, c’est lui le pilier du pouvoir et celui qui faut miner. Ce n’est pas à la force d’une dictature qu’il faut s’attaquer, mais aux piliers qui la soutienne. Le chapitre suivant pourra sembler plus léger, mais il reste sérieux : l’auteur nous propose de rire sur le chemin de la victoire. Et si le ridicule ne tue pas, il affaiblit les dictateurs. Ainsi Popovic nous parle-t-il de policiers trainant péniblement un bidon d’entrainement à l’effigie de Milosevic, des polonais défilant avec leurs téléviseurs dans des poussettes à l’heure des informations ou des russes figurant une manifestation (par ailleurs interdites) à base de lego. Il est difficile de lutter contre le rire.
Au chapitre 6, l’auteur propose de retourner sa force contre l’oppresseur. Comme obliger la police à tirer sur des moines, à Burma… Bref, c’est le chapitre où il en faut une bonne paire, pour résister à l’oppression et ne pas céder à l’obéissance ! L’unité est au cœur du chapitre 7. Cela ne signifie pas seulement une finalité qui soit haute ou noble, mais qui parle à tout le monde et ne soit pas l’envie d’une minorité. Souvent, il s’agit de bouffe. C’est de planifier dont il est question au chapitre 8. Mais disons qu’il s’agit plutôt d’une planification agile, empruntée à Gene Sharp : au plus haut niveau, le « grand strategy », en fait l’objectif et la manière de mesurer son atteinte. Puis vient la « stratégie », la conception générale et les grandes étapes qui sont alignés sur les objectifs. Enfin, la « tactique » sont les mouvements opérés au présent, les actions engagées et adaptées face à la réalité de la situation.
Popovic évoque un sujet brûlant au chapitre 9 : les démons de la violence. En bref, il ne faut jamais y céder. La force est du côté de l’oppresseur, l’affrontement frontal ne peut que se solder par l’échec. Non seulement la violence engendre une peur qui amène les foules à se réfugier auprès de « leaders forts », mais elle ne pourra de toute manière mobiliser qu’une fraction d’opposants. Comme le souligne les recherches académiques, le succès n’est jamais au rendez-vous. Finir ce que l’on a commencé, parcourir les derniers mètres n’est pas le plus facile, surtout quand on pense que c’est gagné. C’est de cela que parle le chapitre 9, et de combien ces derniers mètres peuvent être fatals à votre cause. Une révolution n’est pas terminée quand le dictateur est renversé : elle est terminée quand le régime de remplacement est en place, qu’il fonctionne et que « le génie que l’on a remis dans sa bouteille ne pourra plus en ressortir ».
L’ouvrage se termine particulièrement en force : l’auteur se tourne vers nous « cela doit être vous » est le titre de cet ultime chapitre. Ainsi l’auteur « downscale » son processus avec Kathy, qui veut s’opposer à la construction d’un centre commercial près de chez elle ! Comment mobiliser le voisinage ? Comment rendre le maire sensible à la cause, etc… Les idées et principes développées dans les pages précédentes s’appliquent aussi bien aux petites causes. Pourquoi pas nous ? L’auteur referme le livre sur le concert de Peter Gabriel chantant « Biko », le titre que le frère de Srdja partagea avec lui des années plus tôt pour l’initier à la force du message d’une chanson. Un moment particulièrement fort.
Ma note de lecture ne saurait rendre justice à ce texte. Un texte qui excelle non seulement par son contenu, les expériences les histoires ou même l’humour qu’il véhicule. Non, il excelle aussi et surtout en élevant la barre des attentes que nous pouvons et devons avoir quand nous arrivons en agents du changement dans une entreprise. C’est une claque par rapport à notre quotidien où nous nous satisfaisons de victoires qui souvent n’auraient même pas mérité le nom « d’étape » il y a vingt ans ! Transposer ce qui est dit ici à la transformation en entreprise n’est pas direct. J’en suis encore à me poser nombre de questions. Mais il me met face à la faiblesse et parfois l’ineptie de ce que nous appelons changement au sein des entreprises. Il m’invite à relever la barre au bon niveau. Saurons-nous le faire ?
Une lecture à ne pas rater : non seulement mon « book of the year », mais peut-être mon prochain « book of the decade » !
Référence complète : Blueprint for Revolution – Srdja Popovic & Matthew Miller – Scribe 2015 – ISBN: 978 1 922247 87 2
Super article qui m’a donné envie d’ouvrir ce livre qui était dans ma bibliothèque depuis trop longtemps.
Pour voir d’autres exemples de stratégie non violente, je conseille le documentaire Iritzina en accès libre ici : http://www.irrintzina-le-film.com/
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Oui, c’est vraiment une bonne surprise. Heureux également d’avoir ainsi de tes nouvelles. J’espère que tu vas bien !
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