Note : 8 ; Une saga aussi bien écrite que puissamment documentée sur les neuromécanismes des habitudes.
Charles Duhigg est journaliste, lauréat du Pulitzer qui plus est. Cela se ressent dans le style très percutant texte. L’auteur explore un aspect simple du comportement humain : la plupart de nos actions sont gouvernées par des habitude. Si ce n’était pas le cas, nos actions seraient sans cesse paralysées par la nécessité de prendre des décisions réfléchies pour les choses les plus simples. Mais ces actions ont aussi des effets collatéraux bien plus importants sur notre mode de vie. Donc changer les habitudes clés permet des changements radicaux. Le texte va investiguer le sujet à 3 niveaux : le niveau individuel, celui des entreprises et enfin au niveau sociétal !
La première partie est consacrée aux habitudes individuelles. L’auteur s’appuie sur deux histoires essentiellement : la (triste) histoire d’Eugene Pauly et celle du fonctionnement des alcooliques anonymes ! Ce que nous enseigne ces deux histoires et que confirme les analyses en IRMf, c’est que notre cerveau se « met en veilleuse » quand il détecte le déclencheur d’une habitude. Ici, l’auteur nous expose le grand pattern de son ouvrage : le cycle « déclencheur – routine – récompense ».
Pour changer ses habitudes, l’auteur nous montre la manière dont on peut substituer une routine différente à un même déclencheur aboutissant à la même récompense. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire et cette substitution doit être épaulée par des mécanismes de renforcement, comme celui que confère les groupes de soutien pour les AA.
La seconde partie est dédiée aux habitudes au niveau des entreprises. C’est aussi sur des histoires et des études que s’appuie cette partie. Il y est toujours question du cycle des habitudes que l’on a vu en première partie. Mais ici, ce qui est illustré entre autre avec l’histoire de Paul O’Neil qui a pris la direction d’Alcoa, c’est la manière indirecte d’induire des habitudes partagées. Paul O’Neil est un fan de l’analyse causale, ce qui lui a permis de déterminer qu’un facteur clé pour réduire la mortalité infantile était … de mieux former les enseignants sur la diététique ! Ici, l’auteur démontre comment en effectuant un changement clé sur le cadre, sur l’objectif mesuré de l’entreprise, on peut déclencher en cascade d’autres comportements qui vont améliorer d’autres indicateurs. Ici, on parle d’améliorer le rendement de l’entreprise en se focalisant sur la question de la sécurité des ouvriers ! J’y trouve aussi un lien avec certains propos de l’entreprise libérée d’Isaac Getz : c’est le respect de la culture de l’entreprise qui dirige les décisions importantes, comme licencier un directeur plus que les questions de résultats !
L’histoire de Michael Phelps, le champion de natation, pour être intéressante, aurait eu d’avantage sa place dans le première partie, par contre. L’histoire de Starbuck s’inscrit bien elle sur le sujet. Elle met le doigt sur un aspect tout aussi important en entreprise : la volonté. En avons nous une réserve finie, qui a besoin de se ressourcer comme semble le montrer certaines expériences, ou peut-on aussi faire appel aux mécanisme des habitudes ? Il semblerai que les deux facteurs existent. L’un des grands challenges des entreprises modernes est le changement. Elles sont prisonnières de leur propre culture et de leurs propres habitudes qui s propagent aux employés par contagion. Ce que nous enseigne l’histoire plutôt dramatique du Rhodes Island Hôpital, est qu’une crise est souvent une très bonne opportunité pour casser le carcan et substituer de nouvelles habitudes aux anciennes.
N’oublions pas enfin les habitudes que cherche à comprendre et à maîtriser le marketing modern. Que ce soit la Data Science chez Target qui permet de déterminer si une femme est enceinte avant qu’elle même ne le sache ou la technique du « sandwich » sur les ondes radio pour familiariser les auditeurs avec un titre en l’encadrant avec deux titres familiers.
La troisième partie concerne le mécanisme des habitudes au niveau de la société. Elle démarre avec l’histoire de Rosa Parks et du pasteur Martin Luther King. J’y trouve une connexion avec le « Tipping Point » de Malcom Gladwell. Ce sont les « liens faibles » que l’auteur met ici en avant. Ceux qui créent nos instincts grégaire et nous aident dans le monde des affaires. Les autres histoires constituant cette partie m’ont parues moins intéressantes ou pertinentes au niveau sociétal. Que ce soit celle du pasteur Rick Warren ou celle de l’addiction au jeu d’Angie Bachmann, ou les terreurs nocturnes de Brian Thomas qui l’ont conduit à tuer sa femme.
Même si j’ai accordé à ce livre la même note que le « point de bascule », j’ai préféré le texte de Malcom Gladwell. Finalement la teneur du texte est moins consistante ici. Toutefois, en plus d’être très bien écrit, l’auteur faisant preuve d’un talent consommé sur le story telling, la déclinaison des habitudes sur les trois niveaux est réellement intéressante. Le texte n’est pas seulement une exercice d’écriture, il est extrêmement bien documenté, les notes associées occupent 80 pages à la fin du livre ! Bref, je recommande sans réserve.
Référence complète : Le Pouvoir des habitudes – Charles Duhigg – Flammarion 2016 (V.O. : The Power of Habits ; Random House 2012) – ISBN : 978 2 0813 4262 0