Note : 8 ; L’homme qui pliait le monde à sa propre vision !
Se sachant condamné, Steve Jobs a choisit lui-même son biographe. Il lui fallait le meilleur, et le fait que celui-ci refusa catégoriquement cette proposition n’était pas un élément qui rentrait en ligne de compte pour le créateur d’Apple. Car bien sûr, il finit par accepter. Comme le montre le livre au long de ses 41 chapitres, ce projet est symptomatique du mode de fonctionnement de ce personnage hors norme : ne pas laisser aux autres l’initiative de ce que l’on dirait de lui, s’assurer d’avoir le meilleur afin de sortir la meilleure biographie possible rendant impossible d’en sortir d’autres. Faire ce qu’il faut pour que l’auteur produise le meilleur : carte blanche, aucune censure (en fait Steve Jobs ne lira jamais le livre), libre accès aux documents et aux personnes. Et encore une fois, le résultat atteint des niveaux d’exigence très élevé.
Il s’agit d’une vraie biographie, elle démarre par la rencontre de ses parents naturels, pour se poursuivre par son adoption, son enfance et son adolescence et sa jeunesse tumultueuse qui le conduira à sa rencontre avec Steve Wozniak, aussi différent de Jobs que l’on puisse l’imaginer. La suite est mieux connue dans ses grandes lignes, car bien qu’entrecoupée d’un exode elle est intimement liée à l’histoire d’Apple. En fait, dès les années 80 il déclarait penser que son nom était lié à celui d’Apple quoi qu’il arrive, tout en pensant également qu’il incarnait Apple. L’avenir lui donnera bien sûr raison.
Si le texte suit une trame globalement temporelle, le découpage suit en fait des thèmes recouvrant certaines périodes, comme celles de sa relation avec sa première fille, Lisa Brennan ou l’Apple II, ou l’iPod, etc… Ces tranches de vies se recouvrant, le fil des chapitres se recouvre en partie telles les ardoises d’un toit. Loin d’être déstabilisante, cette approche rend le livre plus captivant, certains événement faisant la liaison entre différents chapitres.
L’auteur a choisit de ne faire aucune concession par rapport à l’image du personnage, mettant en valeur son talent, son génie et son exigence par rapport aux produits qu’il voulait développer tout comme les côtés nettement moins reluisants de sa personnalité « vous avez découvert que je suis un sale con ? Quel scoop ! » comme le rapporte Walter Isaacson sur une conversation entre Steve Jobs et un journaliste. La prose mêle finement l’histoire racontée, les témoignages et l’analyse faite par l’auteur qui encore une fois ne cherche pas à embellir le tableau mais à nous faire comprendre l’homme. Mission accomplie de ce côté, les motifs récurrents du fil de sa vie apparaissent clairement : une quête de perfection dans la simplicité ne s’embarassant ni des « impossibilités techniques » ni des personnes avec qui il devait ou aurait pu collaborer, la volonté de marier art et technologie en gérant l’expérience utilisateur de bout en bout en n’acceptant aucune concession.
Steve Jobs n’est pas un créateur. Ou s’il en est un, sa réelle création est Apple. Mais il faisait travailler des créateurs et les guidait ou les fustigeait la plupart du temps suivant la voie qu’il voulait suivre exigeant toujours plus, plus beau, plus simple et élégant. Enfanter les projets auxquels il croyait justifiait tous les sacrifices y compris et surtout ceux de sa relation aux autres. Ainsi le texte lève le voile sur ses relations avec Steve Wozniak, John Sculey et de nombreux autres. Il nous permet de comprendre ce qui l’a entrainé dans l’aventure Pixar.
Cette biographie se lit comme un roman, liant le parcours privé et le parcours public. De nombreux témoignages viennent compléter le propos sans l’alourdir. La dernière partie du livre voit la fin du créateur d’Apple approcher et le texte est plus empreint de nostalgie
En grand manipulateur, Jobs voulait être maître de sa biographie, qu’elle soit définitive et n’en permette pas d’autre. Apparemment, il a encore et une dernière fois réussi.
Référence complète : Steve Jobs – Walter Isaacson – JC Lattès 2011 – ASIN : B005UD7FS2 (Kindle edt.)