Note : 9 ; Inspiré et inspirant ! co-book of the year 2023 !
Cet ouvrage fait partie des (très) bonnes surprises de l’année 2023 ! J’ai ouvert l’ouvrage avec plus de curiosité que d’attentes pour ce texte que j’avais classé à priori dans la catégorie « craftsmanship », l’auteur semble d’un avis différent mais je vais rester sur mes positions. L’excellent « Pragmatic Learning & Thinking » d’Andrew Hunt semble avoir été le point de départ de ce texte qui développera sa propre originalité.
Avec 200 pages sur 9 chapitres, le livre garde une taille modeste, d’autant qu’il est bien écrit et se lit avec aisance. Aisance ne signifie pas absence de richesse : avec à la fois une connaissance pratique et une formation académique, l’auteur n’hésite pas à relier son propos à des références en psychologie ou en sociologie et d’autres encore. Il structure sa réflexion sur la créativité sur 7 axes auxquels sont consacrés un chapitre chacun. Fort classiquement, le premier chapitre est une introduction à ce qui suit. On y découvre différents types de créativité et bien entendu une introduction aux 7 thèmes qui seront développés par la suite. Le quiz proposé en fin de chapitre méritera aussi le détour !
Le second chapitre est consacré à la connaissance technique. Le texte se concentre sur la manière de collecter, reprendre et gérer les connaissances sous forme de notes ou de fiches. Ce sont des rencontres tout autant que des techniques que nous propose ici l’auteur : Niklas Luhmann et Vanevar Bush et son Memex dont les idées développées dans son article « As we may think » préfigureront les idées qui donneront naissance au Web. L’acquisition des connaissances est aussi affaire de pratiques délibérées, ce que Wouter Groeneveld nous partage avec son processus de prises de notes.
Pour introduire le chapitre 3 consacré à la communication, l’auteur nous invite à un petit voyage dans le temps qui débute à la Grèce antique avec les péripatéticiens qui discutaient philosophie en déambulant pour se poursuivre à la renaissance avec les Camerata. L’auteur cherche à nous faire appréhender la collaboration comme un acte de création collective, et son propos n’est pas toujours facile à suivre. Mais chemin faisant, il nous fait découvrir de nombreux concepts comme la Symmathesi ou les « réseaux liquides ». L’environnement compte aussi beaucoup dans cette équation, car la créativité est contagieuse, et l’on voit fleurir des campus favorisant cette communication au sein ou entre les entreprises. Ce chapitre se referme sur l’adoption des technologies, avec le classique clin d’œil à la courbe de Moore. Plus original sont les « community smells », des patterns organisationnels ou comportementaux qui nuisent à cette communication.
Au chapitre 4, il va être question des contraintes. Contrairement aux idées reçues, celles-ci sont un facteur prépondérant pour libérer la créativité. C’est au peintre Cézanne auquel l’auteur fait référence dans son « panier de pommes ». Dans ce chapitre, l’auteur explore différents types de contraintes : extrinsèques, imposées et auto-imposées. Les jeux vidéo, et plus précisément l’utilisation de consoles de jeux minimalistes sont un bel exemple de créativité issu de contraintes auto-imposées, qui ont vu fleurir le « pixel art » et le hacking des capacité hardware limitées de ces consoles. Le choix du langage de programmation ou de frameworks procèdent de la même idée. Attention toutefois à ne pas accentuer exagérément ces contraintes : si jusqu’à un certain point elles peuvent libérer la créativité, elles peuvent la tuer au-delà.
Le chapitre 5 aborde la pensée critique. En fait, c’est de pensée créative et critique dont il va être question. Sur le volet créatif, l’auteur évoque les 5 étapes du processus créatif de Graham Wallas. Évidemment, il est beaucoup question de psychologie dans ce chapitre qui n’échappe pas à faire référence à Daniel Kahneman. Mais c’est surtout des modes « diffus » et « focus » sur lesquels se penche l’auteur. Une dualité qui n’est pas sans rappeler le mécanisme fondamental du Design Thinking. Enfin, la créativité est souvent un moyen en développement, mais elle peut être un but, lors d’une exploration de solutions, par exemple.
La curiosité est au menu du sixième chapitre. Elle est très souvent le point de départ de la créativité. C’est à Charles Darwin auquel l’auteur fait référence en ouverture de ce chapitre: un observateur d’exception associé à une insatiable curiosité. C’est en connectant toutes ces observations qu’il a donné naissance à « l’origine des espèces » ! Pour Czikszentmihalyi, la persévérance doit aussi s’associer à la créativité, un trait que possédait aussi assurément Darwin ! L’auteur met aussi l’accent sur deux états d’esprits que nous ne peineront pas à reconnaitre : le « fixed mindset » enfermé dans des croyances limitantes, et le « growth mindset » qui pense que le talent peut se développer. C’est évidemment à ces derniers que nous allons nous intéresser. Il y a un corolaire à cet état d’esprit : la nécessité de sortir de sa zone de confort ! La créativité s’alimente également du croisement des centres d’intérêt, et l’auteur en est certainement l’un des exemples !
Comme à son habitude, l’auteur nous gratifie d’une petite histoire pour introduire ce chapitre 7 consacré à l’état d’esprit de la créativité. Celle-ci me touche de près, car elle concerne Henri Poincarré, mais surtout Caen et une excursion géologique ! C’est l’expérience optimale de Csikszntmihalyi qui est mise en avant ici. La notion de « flux » qui lui est chère trouve son contrepoint dans celle d’interruptions. Sans être ennuyeux, ce chapitre est sans doute le moins dense, car il s’appuie essentiellement sur les travaux de Csikszntmihalyi qu’il résume en les agrémentant de quelques apports.
Le chapitre 8 est consacré aux techniques de créativité. Le chapitre est un peu hétéroclite, mais après tout, c’est bien d’une boite à outils de techniques, voir de plusieurs boites à outil dont nous parlons : art-based learning, writer toolbox, etc. L’un des plus inattendus est le « vol d’idées », une approche dont ont souvent été crédité les Beatles, ar exemple. Mais il existe bien une frontière avec le pillage qu’il ne faut pas franchir.
Le dernier chapitre est l’occasion de prendre un peu de recul sur cette notion de créativité: comment s’exprime-t-elle à titre individuel et en tant que membre d’un collectif ? Et si nous n’avions pas trouvé le propos suffisamment dense, l’auteur nous suggère encore d’autres voies d’exploration !
S’il veut s’inscrire dans les pas du « Pragmatic Learning & Thinking », ce texte n’a rien à lui envier. Je pense même qu’il le dépasse. Le cursus plutôt improbable de l’auteur explique sans doute la manière dont il explore chacun des thèmes. Il s’agit sans hésitations d’une des excellentes surprises de l’année 2023. Pour autant qu’on puisse le qualifier comme tel, le seul reproche que je pourrais faire au texte est sa densité. Chaque chapitre aurait pu être développé sur un livre lui-même tant la matière y semble riche. L’auteur est encore jeune, peut-être le fera-t-il ? Une lecture à ne pas rater.
Référence complète : The Creative Programmer – Wouter Groeneveld – Manning 2023 – ISBN : 978 1 63343 905 4
