Note : 6 ; Une référence incontestable du « job to be done » mis dont le fil conducteur est des plus alambiqués !
Le « job to be done » est un concept à cheval entre le marketing et la démarche produit, mais il est pour moi d’avantage du côté produit. Le concept est alléchant, car il nous fait quitter le domaine de la solution et même celui de la demande du client pour nous diriger vers celui des aspirations ! La mauvaise nouvelle est que le concept même est abordé, interprété et décliné différemment selon les différents membres influents de cette petite communauté. Il faut bien s’accrocher du côté des ouvrages de référence, et celui-ci émerge très nettement. Nous allons rapidement le comprendre, même si le texte n’est pas exempt de critiques.
Avec 210 pages, cette nouvelle édition reste un ouvrage relativement succinct. Il compte 15 chapitres pour sa partie principale, mais je vais y adjoindre la première annexe qui est la reprise d’un post de l’auteur. Le premier chapitre « challenge, hope and progress » est plus qu’une introduction, il nous dévoile déjà une bonne part du sujet. C’est toutefois une introduction quand même, car il met en lumière les lacunes de l’approche centré sur les besoins utilisateur avec son cortège de biais cognitifs. Il aborde aussi un concept qui reviendra au gré des chapitres : la création destructive. Car quand un client adopte (l’auteur préfère le terme « embauche ») un produit, il en abandonne un moins bien adapté à ses aspirations.
Le chapitre attaque le cœur du sujet : qu’est-ce que le « job to be done » (JTBD) ? Deux écoles s’affrontent pour le définir, et il ne s’agit pas de subtilités. La première école définit le JTBD comme le résultat d’une activité, matérialisée par la citation désormais fameuse : « le client ne veut pas une perceuse, il veut un trou de 12 millimètres ». Pour la seconde école de pensée à laquelle appartient l’auteur, ceci est une démarche qui s’arrête à mi-chemin. Pour lui, il ne va même pas s’agir d’accrocher un tableau au mur, mais de pouvoir se relaxer dans un salon où il se sent bien ! Le concept formulé est le « self-betterness », une meilleure version de lui-même où le « meilleur » correspond aux aspirations du client. Le chapitre 3 complète le précédent en énonçant les principes clés de la démarche, tels que la notion de progrès, la notion de « système » auquel participent le client, le producteur, la solution, etc. Ces deux chapitres forment la base théorique du JTBD. Les chapitres suivants n’en seront que les déclinaisons pratiques.
Le chapitre 4 va nous raconter la mise en œuvre du JTBD dans le développement de la solution Clarity. Comme les autres exemples de mise en œuvre, le chapitre s’articule autour d’une interview de l’entrepreneur. Ce premier exemple nous montre comment comprendre et apprendre de l’utilisateur sans lui demander ce qu’il veut. Il met aussi et surtout en lumière la notion de création destructive en montrant ce que cette solution remplace dans les habitudes des clients. C’est du monde du théâtre que nous vient le second exemple, développé au chapitre 5. Plus exactement, il s’agit d’activité théâtrales pour les enfants. Cet exemple nous montrer qu’aller au bout des aspiration des clients peut nous aider à réinventer le produit. Enfin, cet exemple nous questionne sur la notion d’achat impulsif, une notion largement surévaluée selon l’auteur.
Le 3ème exemple, « YourGrocer » auquel est dédié le chapitre 6 nous conduit vers la livraison à domicile. On y découvre que les motivations réelles ne sont pas toujours les motivations affichées. Si l’histoire est plaisante, elle apporte cependant peu d’éléments originaux par rapport aux deux exemples précédents.
Au chapitre 7, l’auteur nous invite à analyser les mécanismes du JTBD : C’est un des chapitres à ne pas rater. Alan Klement structure les forces agissant sur le JTBD en deux groupes : d’une part les forces qui génèrent la demande, soit en nous poussant à quitter la situation actuelle, soit en nous tirant vers le « self-betterness ». Dans l’autre sens, les forces qui réduisent la demande : l’inertie et l’anxiété. Les chapitres suivants mettront en valeur ces 4 forces. Le chapitre 8 nous raconte une autre histoire, un contre-exemple du JTBD et un flop monumental : Le ChotuKool. C’est surtout pour l’auteur une occasion de tourner en ridicule Clayton Christensen, un exercice dont il ne se lasse apparemment pas !
L’étude de cas du chapitre 9 a trait aux personnes âgées. L’auteur nous invite à cette occasion à aller chercher l’innovation là où les utilisateurs ont mis en œuvre des idées compensatoires. Mais cette étude de cas ne nous apprend pas tellement plus. Nouvelle étude de cas au chapitre 10 avec le People Product Club. Le créateur est un « serial entrepreneur » n’hésitant pas à créer de nouveaux produits plutôt que de pervertir un produit existant de fonctionnalités annexes. Sinon, rien de nouveau sous le soleil. Le chapitre 11 fait revenir un vieil ami : Ash Maurya et son Lean Canvas ! Venant du Lean Startup, l’auteur de Running Lean n’a pas vraiment appliqué le JTBD. Pourtant les deux approches convergent dans leur approche du client. Le challenge ici était de conserver des clients dans la durée, alors que le Lean Canvas donnait satisfaction mais n’était utilisé qu’un court laps de temps. C’est une ligne de produits, accessible en abonnement qui a vu le jour, là encore pour éviter de complexifier inutilement le Lean Canvas, mais en poursuivant l’accompagnement de l’utilisateur dans la durée avec le validation board et d’autres produits encore.
Le « system of progress » au chapitre 12 est l’un de mes chapitres préférés, si ce n’est mon préféré. Ce système s’appuie sur une représentation cyclique où la moitié supérieure représente la demande de l’utilisateur et la partie inférieure, la manière dont le producteur interagit avec cette demande. Le texte nous fait progresser depuis un cycle basique vers un cycle plus élaboré où l’utilisateur évolue grâce au potentiel du produit. Une excellente prose, qui constitue une bonne part de la valeur ajoutée du livre. Au chapitre 13, l’auteur s’appuie sur ce système de progrès pour le projeter dans le domaine de l’innovation. Malgré quelques éléments intéressants, le propos est loin d’être aussi convaincant. Je passe rapidement sur le chapitre 14 qui cherche a élaborer une définition du JTBD. Cet effort ne contribue ni à une meilleure compréhension, ni à étoffer le propos. Heureusement, il ne compte que quelques pages.
Le dernier chapitre de la partie principale du texte est une invitation à l’action. Il est assez succinct. Il évoque rapidement les approches top-down et bottom-up, nous laissant le soin de piocher ce qui peut avoir du sens pour nous. Enfin il nous propose quelques ressources à exploiter, d’autant plus intéressantes si l’on habite New-York ! Le chapitre 16 est le premier des annexes. Je m’arrête dessus, car bien qu’antérieur au livre, il est assez riche. Tout d’abord, il replace le JTBD dans la hiérarchie des besoins humains. L’autre point important développé ici est la variété très importante de l’interprétation de ce qu’est un JTBD. Variété qui peut être déroutante car on a parfois l’impression de lire des choses fort différentes et l’auteur nous le confirme. Il regroupe cela en deux courants : « jobs as activities » et « jobs as progress ». Bien entendu, lui-même se place dans la seconde catégorie en compagnie de … Clayton Christensen. Oui, le même qu’il s’est évertué à démolir plus tôt dans le texte (mais plus tard chronologiquement). J’avoue être plus adepte du courant que nous propose Alan Klement.
Le propos du livre est assez décousu. L’auteur est d’avantage un entrepreneur qu’un écrivain et son fil narratif est déroutant. C’est au lecteur de reconstituer le puzzle, mais cela vaut le coup. Il est facile de dire qu’il s’agit du meilleur ouvrage sur le JTBD, car c’est en fait le seul. Mais finalement, mis à part la difficulté que représente l’absence d’un fil logique, on ne perd pas son temps avec ce livre !
Référence complète : When Coffee and Kale Compete, 2nd edt. – Alan Klement – Createspace 2018 – ISBN : 9781534873063
