Note : 9 ; La référence sur le product management !
Si tous les chemins mènent à Rome, toutes les références à la démarche produit remontent à Marty Cagan, et plus précisément à son ouvrage vedette : Inspired. Non seulement l’auteur a construit une démarche produit tôt dans sa carrière dont se sont inspiré de très nombreux « purs players », mais il a accumulé une solide expérience et un regard très large sur les entreprises tech. Il nous livre ici sa vision sans retenue.
Avec plus de 300 pages, le texte peut paraitre conséquent, mais en réalité il s’aborde très bien. Avec 67 chapitres, chacun de quelques pages, le rythme de lecture est assez particulier, qui me rappelle un peu Kent Back qui aime bien procéder ainsi également. Mais l’auteur a structuré son propos en 5 parties, sous-découpées en sections pour certaines d’entre-elles, pour un total de 16 sections.
La première partie, « lessons from tech companies » compte 8 chapitres pour un total d’une trentaine de pages. L’auteur nous livre ici son analyse des facteurs de succès des entreprises « orientées produit », une analyse sans concession qui fait un peu mal aux entreprises classiques. Le chapitre 7, « beyond Lean and Agile » fait un peu mal, car si l’auteur est bien pro-agile, il tacle la manière dont cette agilité est mise en œuvre dans la plupart des entreprises, et je ne saurais lui donner tort. Les entreprises produit incarnent, nous dit-il, l’essence de l’agilité mais d’une manière peu reconnaissable par l’agilité corporate. D’accord, il ne le dit pas comme cela, mais c’est l’idée. Le chapitre 8 nous introduuit le « discover to deliver » qui sera un leitmotive pour la suite, et qui là encore est un marqueur différenciant de l’agilité classique.
La seconde partie « the right people » attire ma méfiance car elle est résolument tournée vers les rôles ! La première section de cette seconde partie compte une quarantaine de pages pour 7 chapitres. Elle commence plutôt bien en énonçant les principes d’une équipe autonome, pour s’attaquer rapidement à ce que l’auteur nous affirme être le rôle-clé : le Product Manager. C’est le boss, et les exigences qu’y attache Marty Cagan en font un profil rare et exigent. Le Product Designer est lui un hybride entre un UX et un business analyste sénior (qu’on appelle aujourd’hui Product Owner), dont le travail se focalise sur le « discovery » aux côtés du PM. Les ingénieurs d’occupent du Delivery, mais sont aussi totalement impliqués dans les activités de discovery. L’évocation des autres profils à la fin de cette section a pour seule vertu de ne pas les oublier.
Le passage de l’entreprise « à l’échelle » ouvre vers de nouveaux rôles évoqués sur les 5 chapitres de la seconde section de cette seconde partie, pour une trentaine de pages. Il s’agit surtout de mettre au-dessus des différents rôles vus précédemment des « head of… » qui assurent ce qu’il est convenu d’appeler des leaderships transverses. Sans doute a-t-il raison, mais j’ai du mal à m’enthousiasmer pour ces idées, le chapitre 20 avec ses 10 principes de structuration des équipes sauve un peu l’ensemble.
Dans la partie 3, « the right product », on va bien entendu arriver au coeur du sujet ! La première section de cette partie « Product Roadmap » ne compte que 2 chapitres pour une douzaine de pages. C’est bien assez pour casser les rotules de la roadmap classique, y compris certaines auto-proclamées roadmaps agiles ! Ces roadmaps orientées « output » vont à contresens des pensées produit qui doit être orientée « outcome », partée par une vision et des objectifs. J’ai noté toutefois que les roadmaps orientées outcome (que je défends) rendent l’auteur « pretty happy » et je me sens soulagé !
La seconde section justement, traite de la vision. Le sujet couvre une quinzaine de pages sur 4 chapitres. L’auteur différencie la vision, qui doit être inspirante, de la stratégie qui doit être « focus » avec une adéquation produit/marché très ciblée. Pour la vision, il nous énonce 10 principes qui non seulement se doivent d’être inspirants, mais viser loin et être ambitieux.
Une courte troisième section est consacrée aux objectifs produit. Il n’est pas très étonnant que l’auteur nous redirige vers les OKR avec la prévention suivante : ces OKR doivent être tournés vers de objectifs business ! ceux-ci cascaderont ensuite vers les équipes produit.
Pour conclure cette 3ème partie, Marty Cagan nous propose pour emmener tout cela à l’échelle. Une considération bien courte, pour affirmer que la pratique des OKRs est une clé essentielle (je le crois volontiers), et qu’un rôle de Product Evangelist peut venir en soutient, ce qui me laisse perplexe, même si l’auteur décrit précisément ses fonctions.
La 4ème partie « The right Process » est la plus conséquente de l’ouvrage avec ses huit sections totalisant 150 pages. En fait, cette partie se focalise exclusivement sur le volet différenciant l’approche produit de l’approche agile : le processus de discovery. La première section, « product discovery » sert en réalité d’introduction aux 7 autres sections. Elle articule les 3 fonctions sur lesquelles appliquer les pratiques de discovery: les fonctionnalités, la technique et le deign pour ensuite introduire les différentes pratiques de discovery. La seconde section est consacrée au « framing », sorte de cadrage à la sauce produit, dans laquelle l’auteur évoque 3 techniques : En premier l’opportunité assessment qui est une identification orientée impact du problème à résoudre, bien développé dans l’ouvrage de Teresa Torres. En second, la « lettre au client », idée empruntée au « working backwards » d’Amazon avec son Press Release. Enfin le business Canvas nous vient d’Alexander Osterwalder puis du Lean Startup avec Ash Maurya. L’auteur a fait son marché, il a bien raison, et ce sont de bonnes pioches !
La 3ème section « discovery planning technique » fait un peu peut par son titre au premier abord. Finalement, ça va : il est question du story mapping de Jeff Patton et de customer discovery. Une petite section vite passée. La 4ème section nous entraine dans le monde de l’UX avec l’idéation. Les interviews utilisateurs sont un grand classique mais ils prennent une place prépondérante dans l’approche produit. Mais c’est surtout le « customer misbehavior », plus méconnu qui retiendra mon attention dans cette section.
Les prototypes, thème de la 4ème section sont une forme plus avancée et plus « lourde » de discovery. Les prototypes de faisabilité technique adressent un des 3 piliers du modèle de Marty Cagan. Peu de nouveauté ici, ils ne diffèrent guère des Spikes d’extreme programming.Les prototypes UX ne sont pas non plus inconnus pour les spécialistes de cette discipline, mais on ne va finalement pas s’y attarder. La section 6 va adresser le « discovery testing » ! On pense aux tests d’utilisabilité, qui sont bien sûr évoqués, mais plus original est le test de la valeur. L’auteur s’y attarde d’ailleurs le temps de 3 chapitres pour évoquer d’une partie le volet qualitatif avec le test de la demande et d’autre part le volet quantitatif. Ici c’est l’A/B testing qui nous donnera matière à réflexion. Enfin, le test de la viabilité business est aussi évoqué, non sous forme de techniques, mais de questions à adresser.
L’avant-dernière section s’intitule « transformation techniques », la finalité de cette section est moins claire que pour les autres. Elle permet surtout à Marty Cagan de promouvoir le « Design Sprint », une pratique qu’il encense, bien qu’il coûte une semaine d’intense labeur. Cette partie se conclut par une section « à l’échelle », comme d’habitude. Ici, ce sont deux aspects qui prennent davantage de relief : la gestion des parties prenantes, qui peuvent devenir nombreuses et le partage des apprentissages entre équipes. Bien vu.
La dernière partie est consacrée à la culture produit. Elle ne comporte pas de sous-sections, juste 4 courts chapitres. Curieusement, c’est une sorte de compilation de ce qu’il ne faut pas faire, que ce soit avec le « good team / bad team », la perte d’innovation ou de vélocité. Il conclut sur la nécessité d’être à la fois bon sur l’innovation (le volet « discovery ») et sur l’exécution (le volet « delivery »). Les éléments qu’il met en relief nous permettent de mesurer le chemin qu’il reste à parcourir. Ils font un peu mal, surtout quand on s’y reconnait !
Le livre est relativement imposant, mais finalement se lit très bien, sans doute parce qu’il est passionnant. Marty Cagan nous livre beaucoup de matériel, il faut pas mal de temps pour le digérer. Mais il ne se perd pas en discussions oiseuse, il va droit au but. Le ration connaissance/temps est donc excellent. C’est un argument supplémentaire s’il en était besoin, car vous aurez compris que je recommande fortement cette lecture !
Référence complète : Inspired, 2nd edition – Marty Cagan – John Wiley & sons 2018 – ISBN : 978 1 119 38750 3
