Note de lecture : Agile Software Development 2nd edition, par Alistair Cockburn

Note : 6 ; Ô combien austère…

Cette seconde édition de l’ouvrage de référence d’Alistair Cockburn a pris beaucoup d’embonpoint depuis la première. Il accuse 380 pages sans les annexes et ces dernières pèsent 80 pages à elles-seules. Au-delà du volume lui-même, le texte s’avère, comme nous le verrons, très dense. La mise en page sur 2 colonnes assez rare pour ce type d’ouvrage ajoute encore à cette impression. Mais surtout, ce n’est pas un texte qui s’adresse au débutant, les thèmes et le niveau des réflexions qui sont développées dans ces pages rend le texte bien trop ardu pour le nouveau venu.
L’ouvrage compte 7 chapitres, qu’il faut multiplier par deux. Car, autre originalité, le texte d’origine n’a pas été retouché mais il est doublé d’un texte complémentaire qui forme cette seconde édition, ainsi pour chaque chapitre, nous avons le x.0 qui est le texte original, et le x.1 écrit pour cette seconde édition !

Le chapitre 0 « unknowable and Incommunicable », n’est pas le plus facile à aborder. Le propos est à la frontière de la philosophie. Mais il introduit une notion qui m’et chère : le Shu Ha Ri ! L’auteur présente ce concept comme étant une incarnation des 3 niveaux d’écoute : suivre, se détacher et être fluide. Ce chapitre est suivi d’un très court chapitre « évolutions », où l’auteur revient brièvement sur la notion de Shu Ha Ri.

Les choses sérieuses commencent avec le chapitre 1 « un jeu coopératif d’invention et de communication », probablement l’une des expressions favorites de l’auteur. Le chapitre s’ouvre sur la thématique du jeu. Il peut être à somme nul (donc jeu d’affrontement) ou coopératif, c’est évidemment vers ce second type que l’auteur nous oriente : les jeux dirigés vers un but. En fait, il s’oppose surtout à la vision « engineering » du développement, celle du génie civil par exemple. Ce chapitre a bien sûr droit à son chapitre complémentaire « évolution ». Outre une évocation du craft, ce complément ajoute deux éléments. Le premier est l’évocation historique de l’ingénierie dans le domaine logiciel, qui remonte à 1968. Le second est la mise en contexte du Lean. De mon point de vue, c’est franchement poussif. Ce chapitre 1 sert surtout à pousser la vision de l’auteur, mais je n’y vois guère d’éléments qui font progresser ma manière de voir.

Au second chapitre, il est question des individus. Nous serons moins surpris par ce titre, mais sans doute plus par le contenu qui garde la tendance réflexive des deux premiers. Sans réellement la nommer, Alistair Cockburn aborde la question de la motivation intrinsèque en focalisant particulièrement sur la fierté de l’accomplissement. Il y a de quoi picorer au sein de ce chapitre, mais il manque singulièrement de structure. Ce chapitre 2 est complété d’un court chapitre « évolutions ». L’idée à emporter est celle du « bus-length communication » : la communication chute brutalement quand la distance entre 2 personnes excède la longueur d’un bus. C’est diablement empirique mais tout autant vrai.

Le 3ème chapitre est dédié à la communication. Et il y a beaucoup à dire. A commencer par le « erg second », l’énergie dépensée pour communiquer, qui prend en compte le média, la distance, les obstacles, etc. Le propos est très développé et même compréhensible ! Le second sujet sont les « information radiator » : la mise en place d’affichages qui « irradient » l’information. C’est également un incontournable. Nous en arrivons aux modalités de communication. Modalités physiques d’abord avec la proximité, les obstacles et le nombre de personnes. Puis, modalités de canaux depuis le plus froids (l’écrit) vers le plus chaud (le face à face). Le propos est largement développé sur la combinaison entre ces modalités. Bref, c’est un chapitre très riche, sans doute mon préféré. Évidemment, il est complété d’un chapitre « évolution », mais qui est très court : il revisite simplement la question des disposition spatiales d’équipes projet.

Le 4ème chapitre est consacré aux méthodologies. C’est un des sujets fétiches d’Alistair Cockurn et ce fut même le thème de sa thèse de doctorat. Ce chapitre se découpe en 2 volets. Le premier à trait aux principes sous-jacents d’une méthodologie. Le second passe une méthodologie agile à la loupe : Extrême Programming. Pour le premier volet, le texte passe en revue les concepts et leur définition. C’est pratiquement la reconstitution du métamodèle d’une méthodologie et c’est assez académique quoique clairement expliqué. Il évoque ensuite l’aspect dynamique du déroulement et des interactions au sein d’une méthodologie. Sur cette base, l’auteur développe 7 principes et 6 conséquences à la mise en place d’un cadre méthodologique qui nous plongent dans des problématiques non-triviales sur le sujet. Le second volet va transposer les principes évoqués précédemment sur les pratiques XP pour les évaluer. C’est donc un chapitre assez ardu à appréhender avec une dimension académique plutôt marquée. Le chapitre « évolution » est assez court mais nous gratifie d’un apport orignal : la vue du processus sous forme de boucles de feedback imbriquées.

Le chapitre 5 s’intitule « agile et auto-adaptation ». Il gravite autour de la notion de méthodologie adaptable : comment partir d’une « méthodologie de base », pour ensuite l’enrichir et l’adapter. Le chapitre original est assez court. Mais ce n’est pas le cas du chapitre « évolution » qui est d’ailleurs l’apport le plus important de cette seconde édition, puisqu’il compte presque 90 pages ! Ce chapitre est structuré en 5 sections. La première est une FAQ des préjugés liés à l’agile. Elle est particulièrement intéressante, car elle donne des réponses résolument du point de vue d’Alistair Cockburn. La seconde section aborde les évolutions méthodologiques agiles depuis la première édition. Il aborde quelques subtilités de positionnement d’XP et de Scrum, mais surtout évoque la montée du craftsmanship au travers du mouvement initié par les « pragmatic programmers » et l’émergence du Lean Software Développement. La 3ème section relate les sujets émergents tels que l’UX et le project management. Ce n’est pas la partie la plus indispensable du chapitre. Pas plus que ne l’est la 4ème section sur les sujets persistent tels que CMMI. Passons. Enfin la dernière section initie un sujet qui s’est largement développé depuis : l’agilité au-delà du développement logiciel. L’aspect particulier de cette section est qu’Alstair Cockburn laisse sa plume à d’autres contributeurs car il avoue ses limites sur ces sujets. Les points de vue s’écarte parfois un peu de la vision Cockburnienne, mais cela ne fait que rendre l’ouvrage plus intéressant.

L’auteur a réservé son 6ème chapitre à sa propre méthodologie (ou famille de méthodologies devrais-je dire) : Crystal. Le propos tient en assez peu de pages. Le propos se focalise sur la notion de famille de méthodologies et la manière dont leurs propriétés sont déclinées en fonction de la taille et de la criticité du projet. Pour ce qui est de chacune des méthodes, le texte reste sur les grandes lignes ce qui ne permet guère de se faire une idée et est assez frustrant. Le chapitre « évolution » nous réserve une belle surprise : une longue contribution de Géry Derbier sur l’adaptation de Crystal Yellown pour le projet Chronopost sur lequel il est intervenu dans les années 90. !

Je ne vais pas épiloguer sur les annexes qui pèsent tout de même 80 pages et couvrent en profondeur des sujets complémentaires, pas forcément faciles à aborder.

Cet ouvrage n’est pas une introduction à l’univers agile. Il y a même fort à parier qu’il soit le plus difficile d’abord du rayon « agile » de votre bibliothèque. C’est le cas pour moi et ma bibliothèque est très volumineuse ! C’est d’avantage un texte qui s’adresse à l’agiliste très aguerri, pour prendre du recul, une perspective différente sur la manière d’être agile, de mettre en œuvre un cadre et des interactions qui soient en phase avec le contexte du projet. Vous l’aurez compris, ce n’est pas non plus une lecture rapide.

Référence complète : Agile Software Development, 2nd edition – Alistair Cockburn – Addison Wesley 2007 – ISBN: 9 780321 4822754

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