Note de lecture : L’entreprise altruiste, par Isaac Getz & Laurent Marbacher

Note : 9 ; L’après « entreprises libérées, construit sur une analyse riche et un fil d’histoires inspirantes !

Depuis l’entreprise libérée, Isaac Getz a produit quelques écrits s’inscrivant dans la lignée de ce texte marquant. Beaucoup (dont moi) se demandaient si cette démarche allait le conduire à une nouvelle étape majeure. C’est bien le cas, ce nouvel opus nous conduit vers un type d’entreprise dont le sous-titre stipule « s’enrichir en donnant tout » de manière un peu racoleuse, mais qui va tout de même nous interpeler.

La célèbre collection « clé des champs » à couverture jaune est un format de poche. Celui-ci compte 374 pages, ce qui en fait un ouvrage de taille moyenne. Le texte est découpé en 9 chapitres, mais je devrais plutôt dire « jalonné », car ceux-ci marquent une progression du propos et ne sont donc pas indépendants. Ce choix nous donne un narratif qui évolue sans heurts du début à la fin, ce qui est franchement plaisant.

Le premier chapitre nous fait découvrir la notion d’entreprise altruiste : des entreprises dont l’objectif qui servent l’autre (la communauté, les clients, les fournisseurs) de manière inconditionnelle sans rechercher la valeur économique. Celle-ci est obtenue par effet de bord selon le principe « d’obliquité » qui reviendra tout au long du livre. A ce stade, le principe parait idéaliste ou farfelu, Les chapitres suivant auront pour objet de donner corps à ce principe en les illustrant des entreprises étudiées.

Au second chapitre il est question de donner avant de recevoir, ce qui est en quelque sorte l’un des principes de base. Le concept est illustré par deux entreprises : les lieux de séminaire Chateauform et les laboratoires Eisai. Ace son « injonction absolue », le créateur de Chateauform fixe comme ligne de conduite de servir parfaitement le client en toute circonstance sans considération du risque d’abus, car comme le dit Gordon Forward, il ne faut pas « manager pour les 3% ». Eisai, cela s’appelle le hhc ou « human health care » et conduit parfois l’entreprise à se soucier du patient au-delà de la médication, ou d’engager des coûts qui ne font pas l’objet d’un retour sur investissement.

C’est justement la tension entre valeur sociale et valeur économique qui est l’objet du chapitre 3. Le propos est illustré de nombreuses PME, essentiellement françaises. La réponse des entreprises altruistes se démarque des actions de type RSE et des approches « triple bottom line » : il s’agit de ne pas faire de compromis et de servir l’action sociale de manière inconditionnelle en tant que stratégie unique de l’entreprise ! Il est plus étonnant d’entendre Black Rock emmètre des injonctions pour impliquer les salariés dans la raison d’être de l’entreprise (mais on reste très loin de l’entreprise altruiste).
Le chapitre 4 « choisir de se transformer » m’évoque un acte de foi ou un saut dans le vide. L’auteur nous y livre ses réflexions sur le choix inconditionnel de la valeur sociale sans calcul de la valeur économique, bien qu’elle soit effectivement présente dans les exemples cités. Il s’agit bien entendu là du fameux « principe d’obliquité » que l’on trouve à l’œuvre. Mais ce que souligne surtout l’auteur, c’est qu’il est naturel pour les humains d’aider autrui.

Le chapitre 5 nous parle des « autres », soit peu ou trop visibles. Il est questions encore une fois d’attention porté à des prestataires, à des fournisseurs ou plutôt à des paysans derrière ces fournisseurs. Il est question par exemple de LSDH et de ses combats pour les petits producteurs de lait ou de la clinique Pasteur à Toulouse. Malheureusement, bien que ce soit l’objet du chapitre, l’auteur n’explique pas réellement le principe d’obliquité selon lequel ces entreprises sont payées de retour. J’y retiens cependant le principe des « givers & takers » qui y est développé.

Au chapitre 6 il est question de confiance. D’une confiance qui, contrairement à ce que dit l’adage, exclut bel et bien le contrôle. C’est le choix de Handelsbanken (une banque, comme on s’en doute un peu), où chaque agence règne sur ses clients, son chiffre d’affaires et sa façon d’opérer. L’agence a tout pouvoir et le siège central se met à son service. Faire reposer le fonctionnement d’une entreprise sur la confiance prend le contrepied de la « théorie de l’agence », où le postulat de base est que le salarié maximise son intérêt propre et que l’entreprise s’en protège à l’aide de contrats et d’indicateurs. Le chapitre entier est consacré à cette banque pas comme les autres, pionière du « beyond budgeting ».

Le chapitre 7 évoque « le bien commun sans trop en parler ». Il nous conduit vers la fonderie Kokune. Nous sommes au Japon et ici il est question de créer de la valeur sociale par la tradition, mais aussi de recherche de perfection, ce qui permet à cette société d’exceller dans son domaine. Que ce soit chez Kokune, chez FAVI ou chez Ardelaine, ce bien commun est la fondation de l’entreprise, sa raison d’être au-delà de son activité : faire vivre les gens dans leur terroir et faire vivre le terroir.

Le chapitre 8 est pour moi le moins convaincant, bien qu’il aborde un sujet rarement abordé : la relation du dirigeant avec son conseil d’administration. L’auteur y fait état de la « prise en étau » du dirigeant et de la nécessité de partager sa « vision altruiste » sans négliger les besoins du conseil d’administration (qui, la plupart du temps, représente les actionnaires). Divers témoignages étayent le propos, mais ce sera surtout celui de Bob Davis qui a eu l’insigne honneur d’avoir Robert Townsend au sein de son CA, qui retiendra l’attention.

Le dernier chapitre « recherche mauvais garçon pour en faire un patron », s’articule essentiellement autour du groupe REMA, leader de la grande distribution en Norvège. C’est ainsi qu’est évoqué le programme Pobel (voyou, en Norvégien), qui permettra à des délinquants de faire leur chemin dans l’entreprise et in fine de devenir franchisés pour certains d’entre-eux. Derrière cela, deux messages apparaissent : la confiance fonctionne et ces entreprises visent l’objectif long terme, autant sur les objectifs que sur les personnes (et ici les deux sont liés).

Ce volume est digne de celui qui a fait connaitre Isaac Getz. Il ne cherche pas à nous faire avaler des recettes de l’entreprise altruiste. Au contraire, il nous met en garde contre cela tout en distillant certains principes. Comme le disait Jean-François Zobrist : il n’y a pas de recette, pas de méthodes : juste des histoires à partager. C’est ce qu’on fait les auteurs au travers de nombreuses entreprises analysées et de chefs d’entreprise interviewés. Et si le leitmotive est de déléguer et donner plus d’autonomie au salarié, il est néanmoins clair que la volonté, le courage, le charisme et le leadership du dirigeant restent plus que jamais des éléments déterminants.

Un livre inspirant que je recommande sans retenue.

Référence complète : L’entreprise altruiste – Isaac Getz & Laurent Marbacher – Flammarion 2022 – ISBN : 978 2 0802 6208 0

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.